• NiobéUne nouvelle visite au MBA de Lyon m'a permis de découvrir la Niobé d'André Masson qu'il a peinte en 1947,  du côté des collections permanentes du musée, dans les salles dédiées au XX° siècle.
    Le peintre a pris pour source Les métamorphoses, livre VI, 146-411  d'Ovide, texte que vous pouvez consulter ici. Pour résumer rapidement, Niobé offense les dieux en exprimant un peu trop fort sa fierté d'avoir donné naissance a 7 filles et 7 garçons, alors que c'est à Léto, mère de seulement 2 enfants (Artémis et d'Apollon) que l'on rend hommage. Ni une ni deux, les dieux punissent Niobé : Apollon grâce à son arc d'argent tue les 7 fils, puis Artémis de ses flèches tue les 7 filles. Juste après, le mari de Niobé se donne la mort de désespoir. Terrassée par le chagrin, Niobé ne peut enterrer ses enfants. 9 jours plus tard, les dieux, émus de ses larmes décident de la transformer en pierre qui laissera s'écouler une source intarrissable.

    Cet épisode de la mythologie grecque a déjà souvent été représenté, que ce soit dès l'Antiquité ou plus tardivement, par Johann König, Andrea Camassei, Anicet Lemonnier, ou par Merry Joseph Blondel.


    Mais ce qui différencie la Niobé de Masson des autres, c'est qu'ici elle est seule représentée sur la toile. On ne voit ni ses enfants, ni les dieux qui la punissent, ni ceux qui la changent en pierre. Tout juste les 3 couleurs primaires qui font face à Niobé suggèrent-elles des puissances premières.
    L'élément qui symbolise la mort de ses enfants, c'est la pointe de flèche, d'or  tachée de sang, qui pointe dangereusement vers le sol. Si le moment exact, l'action des dieux qui tendent les corde de leur arc,  n'est pas représenté explicitement comme c'est le cas dans les autres oeuvres, la pointe de flèche est le véritable instrument de mort de la scène. Entre elle et Niobé, des lignes sinueuses sont tracées, comme un mur invisible entre la mère et ses enfants qu'elle ne pourra pas sauver, comme une ligne de forces qui repoussent Niobé, dont le corps est arqué vers l'arrière, vers le spectateur qui peut voir ainsi son visage déformé par la douleur. Il peut aussi voir ses mains, l'une tournée vers le ciel dans un geste qui peut sembler repousser l'inévitable, ou alors signifier l'impuissance face aux forces en présence; l'autre est plaquée contre son visage, dans un mouvement de désolation ou peut-être appuyée sur son oreille pour ne plus entendre le vacarme de la mort autour d'elle.
    Les couleurs que Masson utilise pour modeler son corps et son vêtement sont également révélatrices de sa détresse : les gris, bleux et blancs mettent en avant la froideur des corps abattus, les rouges, violets ou roses sont autant de taches de sang sur elle. Les angles que forment ses membres ne sont pas anodins : le coude tendu vers le ciel, contraste avec l'arrondi de son dos et les formes souples de son habit, car si ses enfants sont morts, elle reste bien vivante.
    De nouveau interviennent les couleurs pour raconter le mythe : son corps gris est presque déjà tout de pierre, et pourtant ses larmes, qui lui attirent le pardon des dieux n'apparaissent pas. C'est que les taches de sang, celui de ses enfants, s'acompagnent de bleus aquatiques, comme le filet d'eau qui s'écoule d'une source. Enfin, le sol orangé et le ciel s'opposent à première vue. En fait si la terre semble bruler les pieds de Niobé, les cieux sont zébrés d'éclairs comme autant de colère qui s'abat sur elle.

    La particularité de l'oeuvre de Masson, c'est véritablement d'avoir saisi le noeud de ce mythe. En dépassant une présentation classique qui figure tous les protagonistes, le peintre met le spectateur seulement devant une Niobé qui à la fois traverse l'épreuve de la perte de ses enfants que rappelle la présence de la flèche, à la fois le moment juste après, celui du désespoir, et encore celui qui 9 jours plus tard la transforme en pierre.
    L'alliance du trait et des couleurs enrichit la position de Niobé qui est en mouvement, et encore plus celle des forces implacables qui s'opposent à elle. Les taches qui forment son corps sont réduites par les grands applats de couleurs uniformes qui l'entourent. La diagonale qu'esquisse Niobé est irrémédiablement brisée par le mur qui se dresse devant elle.

    Héroïne tragique, Masson fait de Niobé un être à part entière, qui n'est plus seulement une mère mais une femme orgueilleuse, responsable du drame qui l'accable et qui la change en pierre pour l'éternité, comme une injonction pour le spectateur à bien mesurer la portée de ses paroles et de ses actess. L'oeuvre restaure la portée originaire du mythe, récit fondateur qui s'il peut servir d'exemple, montre ici surtout l'exemple à ne pas suivre.

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  • Les Chausson

    Voici Ernest Chausson et sa famille, une peinture d'Eugène Carrière, datée de 1895. Elle est visible au Musée des Beaux-Arts de Lyon, dans les collections permanentes.
    Elève de Cabanel, Carrière va produire une oeuvre dont le style lui est propre. Les visages qu'il peint sont entourés d'une sorte de brume mais conservent une netteté, une expression, des détails qui leur donnent une vie saisissante.


    Si le temps semble avoir terni les couleurs, c'est la touche de Carrière qui voile la toile d'une sorte de fumée, d'un rideau translucide qui cache pour mieux laisser le spectateur s'approcher de la famille en gommant le décor qui semble seulement esquissé, pour ne garder que l'essentiel : les Chausson.


    Seul le père, compositeur qui connut un certain succès dans les années 1880-1890, est habillé de noir. Sa femme est, elle, vêtue d'une robe blanche qui semble être faite de mousseline légère et qui lie le père à ses enfants, dans un mouvement gracieux. Les enfants sont groupés sur la droite du tableau et si les trois soeurs regardent le peintre comme leurs parents, le fils, les mains dans les poches a les yeux perdus plus loin que le spectateur ne peut voir. Rêve-t-il aux jeux qui suivront la longue pose imposée par ses parents? Envie-t-il le peintre qu'il rêve d'imiter plus tard? Au spectateur de se laisser emporter par ces interrogations, pour aller plus loin que la toile fixée au mur du musée, pour rejoindre le temps ou vécu la famille Chausson.


    À une époque où on commence à faire appel au photographe pour faire son portrait de famille, c'est comme si ici, Carrière fixait sur la toile la photographie de cette famille marquée par les ans qui auraient passés. Comme si quelqu'un découvrait cette photographie abandonnée dans un grenier qui sentirait bon le temps du passé et le temps passé.
    Elle serait à la fois témoignage, par les tenues des Chausson, d'une autre vie entrée dans l'Histoire et témoin par son apparente usure, d'une longue période d'existence.
    Pourtant, en 1895, la jeunesse de l'art photographique ne permet pas de connaître un tel état de conservation, du moins mes modestes connaissances me le laissent penser.


    Ce voyage est ici rendu possible par une toile, troublante, vivante, qui vient toucher le spectateur, qui l'attire à elle.

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