• Le cadre de Sam Francis?

    Sam Francis aimait voler dans le ciel aux commandes d'un avion. Sam Francis s'est écrasé sur le sol. Pour retrouver ce ciel, il a fait de la peinture, rejoignant dans chacune de ces toiles cet infini qu'il avait rencontré.
    Alors que la toile était pour les artistes un champ vierge à recouvrir, à conquérir, Sam Francis s'affranchit de cette tradition pour pénétrer au plus profond de la peinture, dans ce qu'elle offre de plus fertile par le dépouillement, la dépossession de la forme qui recouvrait le fond, le rendant invisible, le privant de sa fécondité.
    Dans cette oeuvre intitulée "Sans Titre" réalisée en 1967, c'est le manque qui saute aux yeux du spectateur. Le manque de peinture (qui se limite à la suggestion d'un cadre), le manque de figures sur ce fond nu, le blanc comme manque de toute trace de la présence d'un geste de l'artiste. Et pourtant ce blanc qui prend toute la place révèle précisément ce qui semble manquer au centre du tableau : la couleur, la forme, la trace du passage de l'artiste sur son support.
    Pourtant, jaunes, rouges, bleus, verts s'activent, tournent autour de l'absence, comme engendrés par un noir qui prend plus de place, qui gonfle le contour de la toile. Des coulures de peinture acrylique s'immiscent même au coeur du rien qui irradie du coeur de l'oeuvre. Absence et présence se répondent, résonnent toutes deux ici : plus qu'une peinture finie il faut voir un acte d'infini, à la fois prenable et inaccessible, seulement une trace de quelque chose de plus grand, quelque chose qui dépasse à la fois le cadre du tableau et le cadre comme canevas qui tisse les règles de la peinture.
    L'infini lumineux absorbe, attire les couleurs qui finissent par le composer, quand ces mêmes couleurs l'engloutissent pour mieux le mettre en valeur au centre de l'oeuvre. Le blanc de la toile devient ainsi la combinaison du spectre des couleurs, toujours présence et absence de couleurs dans le même temps. Il s'agit non pas d'un effacement mais d'une dilution, une confusion du tout et du rien, de l'infini et du fini, des couleurs et du blanc.
    Avec Sam Francis, l'artiste devient celui qui accomplit un acte révélateur et pas seulement narratif, par lequel l'oeuvre prend part au monde, s'insère dans une réalité qui dépasse le cadre de la représentation, de la figuration. Il ne s'agit plus d'interpréter un tableau fixé à un mur, il s'agit d'entrer en lui, de saisir sa profondeur, non pas pour en faire autre chose, mais justement pour en faire ce qu'il est : une fraction de l'infini du monde.

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  • Ma visite de la retrospective Kandinsky au Centre Pompidou
    Lundi dernier, après des jours d'attente, je franchissais enfin les portes de la rétrospective consacrée à Kandinsky par le Centre Pompidou, munie de mon précieux billet.

    Suite à la première impression de foule compacte suscité par la première salle qui expose une chronologie de la vie de l'artiste j'essaye de me glisser auprès des oeuvres comme La vie mélangée (dont les couleurs m'ont semblées moins fluos que cette reproduction), rapidement submergée par une classe d'ados invités à dessiner un détail de ce tableau sur leur cahier. Je m'enfuis alors rapidement vers les salles suivantes exposant livres et manuscrits de Kandinsky. 
    Continuant ma visite, je m'attarde quelques temps devant Moscou I complété par ses esquisses préparatoires au crayon de papier pour l'une et aux crayons de couleurs pour l'autre, minuscules par leur taille et pourtant si puissantes. En effet si le travail au crayon de papier laisse toute la place aux formes reprises dans le tableau, celui aux crayons de couleurs nous laisse embrasser les couleurs chatoyantes de la composition finale. Formes et couleurs se voient ainsi à la fois séparées dans les deux esquisses puis rassemblées, pour ne faire plus qu'une dans Moscou I.
    Si les cabinets consacrés aux livres, manuscrits, dessins et aquarelles m'apparaissent à ce moment comme des lieux privilégiés pour mieux appréhender le travail de Kandinsky, je déchante hélas face aux plus grandes salles immaculées où sont fixés les tableaux. J'ai alors l'impression que ces oeuvres ne vivent pas, sans pouvoir l'expliquer tout d'abord. Et d'un coup je comprend : la blancheur des lieux m'aveugle, étouffe les couleurs des toiles, quand ces dernières sont emprisonnées derrière des vitres qui, comme un filtre ou un écran me coupent d'elles, reflétant les silhouettes des visiteurs et des néons qui éclairent les pièces.
    La suite de la visite me revient comme cotoneuse, assez rapide (alors qu'elle aura duré deux heures), marquée par quelques toiles qui transcendent l'environnement dans lequel elles sont placées. 
    Jaune, rouge, bleu retient mon regard pendant un moment, tellement on semble pouvoir rentrer en lui grâce aux deux carrés quadrillés qui volent vers le coeur du tableau. Si le jaune est un rectangle entouré d'un halo, le rouge  une croix (ou un cube déployé), le bleu est un cercle plein. Aucun hasard ici, chaque forme est animée par la couleur qui l'habite et réciproquement, chaque couleur est rendue plus forte par la forme qu'elle anime. Comme suspendue dans un ciel imaginé, la structure apparaît à la fois lointaine et si proche qu'on pourrait presque la toucher, voire évoluer entre ces éléments (comme le permet la Matrice active de Sophie Lavaud).
    Un peu plus loin, Trois sonorités jaunes me retient un moment, dont les figures géométriques (surtout des triangles) permettent d'entrer avec l'artiste à l'école du Bauhaus. Les principes de l'école prennent toute leur signification lorsqu'on peut voir le travail de Kandinsky et son évolution, qui mèle par la deux dimensions art, dessin, couleurs, mouvement, épaisseur, profondeur, en bref, tout ce qui fait la construction, essentielle pour Walter Gropius, créateur de l'école.
    Les dernières oeuvres présentées renforcent ce sentiment que Kandinsky ne laisse rien au hasard, pense, prépare, et réalise avec précision ses créations, envahies par toutes sortes de petits êtres qu'on croirait observés au travers d'un microscope, sur des fonds clairs. Même si les formes géométriques ne sont plus les seules présentes visuellement, elles font figure de soutien, de structure sur laquelle le reste peut s'appuyer pour évoluer au sein du tableau, comme dans Monde Bleu, ou parfois disparaissent à première vue comme dans Bleu de ciel, où on les retrouve pourtant dans la constitution même des êtres qui s'agitent sur la toile.

    Et sans vraiment m'en rendre compte, j'avais dépassé la sortie, perdue dans les nombreuses pensées, émotions, sentiments, et autres questions que me laissaient toutes les oeuvres présentées. Car plus qu'une simple visite, les tableaux nous invitent à voyager avec eux, à partir à leur rencontre, à dépasser le cadre formel de l'exposition pour partir à la rencontre d'un horizon que Kandinsky ne cesse jamais de nous dévoiler, toujours de façon différente. Au visiteur de s'emparer de ce voile, de le soulever pour mieux se glisser derrière ce qu'il cache, une part du monde, une part de soi-même.

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  • Un dimanche à la campagne

    Imaginez que nous sommes un  dimanche d'été, dans les années 1750 et qu'après une belle promenade ou une partie de chasse, vous preniez quelques minutes de repos sous un arbre, face à un champ que le soleil a teinté de ses reflets dorés. Gainsborough aurait pu vous peindre vous, à la place de Mr and Mrs Andrews, les jeunes propriétaires de ces terres qui s'étendent à perte de vue.
    La fragile Mrs Andrews assise sur un banc travaillé, est vêtue de douceur bleue, ses petits pieds sagement croisés sous sa robe encombrante et pourtant de facture si délicate. Elle est aérienne, légère, comme survolant son siège. Et si elle tient dans sa main droite ce qui ressemble à un bâton, qui la relie a ses terres le peintre a semble-t-il laissé sa toile nue sur les genoux de son modèle. Pour y ajouter quelque chose plus tard? Pour signifier que la vie de Mrs Andrews ne fait que commencer et qu'il lui reste à la construire?
    Son mari est lui d'avantage ancré dans la terre : il est nonchalament appuyé sur le banc, la main droite dans une poche, le fusil sous l'épaule, pointant le sol où ses pieds sont posées sur les racines d'un vieil arbre  tandis que son chien s'est glissé entre ses jambes, la tête tournée vers son maître. Si c'est bien sa femme qui lui a apporté toutes ses terres par leur union, Mr Andrews en est désormais bien le maître.

    Gainsborough aurait pu rétrécir son champ de vision pour ne peindre que les jeunes mariés comme ici, (grâce à la magie du recadrage numérique), mais il a choisi de les représenter entouré de leur domaine . Leur place sur la toile indique ainsi clairement leur statut : bien qu'ils ne soient pas au centre du cadre, ils donnent l'impression de dominer toute la surface du tableau, renforçant ainsi leur statut de propriétaire terrien. Le peintre a ainsi astucieusement mis en avant ses modèles : s'ils sont bien le sujet principal de la toile, ils n'existent pas non plus sans leur domaine. Le spectateur entre dans la scène par le côté gauche du tableau où il trouve les époux Andrews, puis son regard est attiré par la profondeur de champ que Gainsborough a magnifiquement représentée : des champs, des arbres, des bêtes à perte de vue, sous un ciel nuageux mais pas menaçant, qui figure peut-être la vie qui attend les époux.

    Et alors qu'à première vue ce tableau semble n'être qu'une scène champêtre, Gainsborough y ajoute en fait un caractère temporel fort : par les racines de l'arbre qui tournent notre esprit vers le passé, vers la terre qui était là avant nous, par le ciel qui reste incertain et qui nous attire vers le futur et enfin par ces deux jeunes mariés et leur chien, symbole de fidélité, qui s'inscrivent dans le moment présent. C'est toute une vie d'homme, avec ses espoirs, ses promesses comme ses souvenirs que Gainsborough a su mettre en couleurs sous l'apparence d'un portrait conventionnel de deux jeunes époux et de leurs terres.

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  • Si belle Sibylle
    Je vais ici m'attacher à vous emmener en voyage auprès d'un personnage connu, commenté et décrit à foison, la Sibylle de Delphes telle que l'a représentée Michelange sur
    le plafond de la chapelle sixtine au Vatican. Je ne prétends pas faire mieux que tout ceux qui se sont déjà penchés sur elle, mais seulement vous faire partager les différents sentiments qu'elle m'inspire.

    Il est bien difficile de ne pas éprouver toute la douceur et la grâce qui émanent d'elle : couleurs lumineuses, teint diaphane, réunis dans un mouvement arrondi que dessine le tissu de sa tenue. 

    Et pourtant à mieux la regarder, on se rend compte que Michelange lui a donné une musculature très développée, plus que celle de son David qui paraît bien frêle en comparaison. De plus, il l'a assise sur un siège dur, froid, large et imposant. Le contraste est le plus fort au niveau de son visage, qu'on ne peut s'empecher de trouver féminin et qui l'est pourtant moins que les Ignudi qu'il a peint sur le plafond de la chapelle. Par ce corps massif, l'artiste rappelle que la Sibylle est profondément attachée à la terre.

    En effet, à Delphes où elle était installée et où on la nommait plutôt Pythie, elle interprétait les oracles d'Apollon assise sur un trépied (que Michelange n'a pas représenté ici), au dessus d'une faille d'où s'échappaient les messages du dieu. Bien que fortement liée à la terre, elle est ainsi inévitablement tournée vers les cieux, symbolisés ici par le vent qui fait voler quelques mèches de ses cheveux et gonfle le drapé de son manteau. Ce double attachement est également mis en avant par les deux directions opposées que pointent ses bras : alors que le bras gauche repose sur ses jambes, dans une sorte de relâchement, la main tournée vers le sol, son bras droit est tendu pour tenir le papyrus déroulé qu'elle ne lit pas, comme attirée par une verité plus haute.
    En effet le spectateur ne peut croiser son regard dirigé vers un aileurs, comme si il ne lui était pas nécessaire de lire pour savoir à l'avance ce qu'il arrivera. Michelange prend ici des libertés avec les véritables pratiques delphiques : si la Pythie transmettait la parole d'Apollon, c'étaient les prêtres du dieu qui traduisaient au visiteur des propos qu'on a qualifié par la suite de sibyllins, c'est-à-dire ici trop obscures pour être déchiffrés par des profanes. Il ne faut pas oublier que la fresque est peinte sur le plafond de la chapelle Sixtine au Vatican et que le message délivré est avant tout adressé à des Chrétiens. Michelange a ainsi alterné représentation de Sibylles (ici, , encore là ou par là) et de prophètes (ici, , encore là, par là et aussi là) sur le plafond : ils annoncent le royaume du Christ pour les croyants quand elles font de même pour le monde païen. Le retour à l'antique qui anime la vie culturelle de la Renaissance ne doit pas faire oublier l'ancrage religieux, et Michelange fait ainsi la synthèse des deux.
    Beaucoup ont dit que de cette Sibylle se dégage une aura mystérieuse, qui rappelle celle de la Pythie antique. C'est peut-être parce que toujours elle reste double : à la fois féminine et masculine, terrienne et aérienne, païenne et chrétienne. 

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  • NiobéUne nouvelle visite au MBA de Lyon m'a permis de découvrir la Niobé d'André Masson qu'il a peinte en 1947,  du côté des collections permanentes du musée, dans les salles dédiées au XX° siècle.
    Le peintre a pris pour source Les métamorphoses, livre VI, 146-411  d'Ovide, texte que vous pouvez consulter ici. Pour résumer rapidement, Niobé offense les dieux en exprimant un peu trop fort sa fierté d'avoir donné naissance a 7 filles et 7 garçons, alors que c'est à Léto, mère de seulement 2 enfants (Artémis et d'Apollon) que l'on rend hommage. Ni une ni deux, les dieux punissent Niobé : Apollon grâce à son arc d'argent tue les 7 fils, puis Artémis de ses flèches tue les 7 filles. Juste après, le mari de Niobé se donne la mort de désespoir. Terrassée par le chagrin, Niobé ne peut enterrer ses enfants. 9 jours plus tard, les dieux, émus de ses larmes décident de la transformer en pierre qui laissera s'écouler une source intarrissable.

    Cet épisode de la mythologie grecque a déjà souvent été représenté, que ce soit dès l'Antiquité ou plus tardivement, par Johann König, Andrea Camassei, Anicet Lemonnier, ou par Merry Joseph Blondel.


    Mais ce qui différencie la Niobé de Masson des autres, c'est qu'ici elle est seule représentée sur la toile. On ne voit ni ses enfants, ni les dieux qui la punissent, ni ceux qui la changent en pierre. Tout juste les 3 couleurs primaires qui font face à Niobé suggèrent-elles des puissances premières.
    L'élément qui symbolise la mort de ses enfants, c'est la pointe de flèche, d'or  tachée de sang, qui pointe dangereusement vers le sol. Si le moment exact, l'action des dieux qui tendent les corde de leur arc,  n'est pas représenté explicitement comme c'est le cas dans les autres oeuvres, la pointe de flèche est le véritable instrument de mort de la scène. Entre elle et Niobé, des lignes sinueuses sont tracées, comme un mur invisible entre la mère et ses enfants qu'elle ne pourra pas sauver, comme une ligne de forces qui repoussent Niobé, dont le corps est arqué vers l'arrière, vers le spectateur qui peut voir ainsi son visage déformé par la douleur. Il peut aussi voir ses mains, l'une tournée vers le ciel dans un geste qui peut sembler repousser l'inévitable, ou alors signifier l'impuissance face aux forces en présence; l'autre est plaquée contre son visage, dans un mouvement de désolation ou peut-être appuyée sur son oreille pour ne plus entendre le vacarme de la mort autour d'elle.
    Les couleurs que Masson utilise pour modeler son corps et son vêtement sont également révélatrices de sa détresse : les gris, bleux et blancs mettent en avant la froideur des corps abattus, les rouges, violets ou roses sont autant de taches de sang sur elle. Les angles que forment ses membres ne sont pas anodins : le coude tendu vers le ciel, contraste avec l'arrondi de son dos et les formes souples de son habit, car si ses enfants sont morts, elle reste bien vivante.
    De nouveau interviennent les couleurs pour raconter le mythe : son corps gris est presque déjà tout de pierre, et pourtant ses larmes, qui lui attirent le pardon des dieux n'apparaissent pas. C'est que les taches de sang, celui de ses enfants, s'acompagnent de bleus aquatiques, comme le filet d'eau qui s'écoule d'une source. Enfin, le sol orangé et le ciel s'opposent à première vue. En fait si la terre semble bruler les pieds de Niobé, les cieux sont zébrés d'éclairs comme autant de colère qui s'abat sur elle.

    La particularité de l'oeuvre de Masson, c'est véritablement d'avoir saisi le noeud de ce mythe. En dépassant une présentation classique qui figure tous les protagonistes, le peintre met le spectateur seulement devant une Niobé qui à la fois traverse l'épreuve de la perte de ses enfants que rappelle la présence de la flèche, à la fois le moment juste après, celui du désespoir, et encore celui qui 9 jours plus tard la transforme en pierre.
    L'alliance du trait et des couleurs enrichit la position de Niobé qui est en mouvement, et encore plus celle des forces implacables qui s'opposent à elle. Les taches qui forment son corps sont réduites par les grands applats de couleurs uniformes qui l'entourent. La diagonale qu'esquisse Niobé est irrémédiablement brisée par le mur qui se dresse devant elle.

    Héroïne tragique, Masson fait de Niobé un être à part entière, qui n'est plus seulement une mère mais une femme orgueilleuse, responsable du drame qui l'accable et qui la change en pierre pour l'éternité, comme une injonction pour le spectateur à bien mesurer la portée de ses paroles et de ses actess. L'oeuvre restaure la portée originaire du mythe, récit fondateur qui s'il peut servir d'exemple, montre ici surtout l'exemple à ne pas suivre.

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  • Les Chausson

    Voici Ernest Chausson et sa famille, une peinture d'Eugène Carrière, datée de 1895. Elle est visible au Musée des Beaux-Arts de Lyon, dans les collections permanentes.
    Elève de Cabanel, Carrière va produire une oeuvre dont le style lui est propre. Les visages qu'il peint sont entourés d'une sorte de brume mais conservent une netteté, une expression, des détails qui leur donnent une vie saisissante.


    Si le temps semble avoir terni les couleurs, c'est la touche de Carrière qui voile la toile d'une sorte de fumée, d'un rideau translucide qui cache pour mieux laisser le spectateur s'approcher de la famille en gommant le décor qui semble seulement esquissé, pour ne garder que l'essentiel : les Chausson.


    Seul le père, compositeur qui connut un certain succès dans les années 1880-1890, est habillé de noir. Sa femme est, elle, vêtue d'une robe blanche qui semble être faite de mousseline légère et qui lie le père à ses enfants, dans un mouvement gracieux. Les enfants sont groupés sur la droite du tableau et si les trois soeurs regardent le peintre comme leurs parents, le fils, les mains dans les poches a les yeux perdus plus loin que le spectateur ne peut voir. Rêve-t-il aux jeux qui suivront la longue pose imposée par ses parents? Envie-t-il le peintre qu'il rêve d'imiter plus tard? Au spectateur de se laisser emporter par ces interrogations, pour aller plus loin que la toile fixée au mur du musée, pour rejoindre le temps ou vécu la famille Chausson.


    À une époque où on commence à faire appel au photographe pour faire son portrait de famille, c'est comme si ici, Carrière fixait sur la toile la photographie de cette famille marquée par les ans qui auraient passés. Comme si quelqu'un découvrait cette photographie abandonnée dans un grenier qui sentirait bon le temps du passé et le temps passé.
    Elle serait à la fois témoignage, par les tenues des Chausson, d'une autre vie entrée dans l'Histoire et témoin par son apparente usure, d'une longue période d'existence.
    Pourtant, en 1895, la jeunesse de l'art photographique ne permet pas de connaître un tel état de conservation, du moins mes modestes connaissances me le laissent penser.


    Ce voyage est ici rendu possible par une toile, troublante, vivante, qui vient toucher le spectateur, qui l'attire à elle.

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