• Sexus d'Henry MillerUn court article pour vous faire partager mon émerveillement à la lecture de Sexus, premier tome de "La crucifixion en rose", autobiographie d'Henry Miller.
    Bien sûr il nous raconte sa vie, qui débute véritablement le jour où il rencontre Mara. Mais plus que cela il nous livre sa vision du monde, de l'art, qui déborde de lui,  le poussant à devenir ce qu'il est au fond depuis le début, un écrivain.

    Je ne vois pas d'autre moyen pour vous transmettre ses idées que de vous recopier quelques passages du livre, puisqu'il me semble que ses mots sont les plus justes.

    "Toute grande oeuvre d'art, si elle atteint la perfection, sert à nous rappeler, mieux, à nous faire rêver l'intangible éphémère - c'est à dire l'univers. Elle ne jaillit pas de l'entendement - on l'y admet ou on l'en rejette. Admise, elle instille une vie nouvelle. Rejetée, nous en sommes diminués d'autant. Quel que soit son objet, elle ne l'atteint jamais : elle contient toujours un plus dont le dernier mot ne sera jamais dit. (....) Si nous nous admettions nous-même aussi complètement que nous admettons l'oeuvre d'art, l'univers entier de l'art périrait de carence alimentaire."
    Ainsi mèle-t-il l'homme et l'art de façon inextricable, et qui plus est vitale.
    Puis il se livre dans le même passage à la véritable définition de l'art : "Il n'est pas de jour où n'importe quel pauvre type ne voyage immobile, à tout le moins durant les quelques heures où son corps repose, les yeux clos. Un jour viendra où il sera du pouvoir de quiconque de rester éveillé. Mais bien avant ce jour, les livres auront cessé d'exister car lorsque la plupart des hommes connaîtront l'art d'être parfaitement éveillé et de rêver, leur pouvoir de communier (entre eux, comme avec l'esprit qui meut l'humanité) se trouvera si renforcé que l'art d'écrire n'aura alors pas plus de sens que les grognements rauques et inarticulés d'un idiot."
    Ouvrir les yeux et l'esprit en quelque sorte....
    Et enfin, il passe à celle de l'artiste : "La jouissance que procure une belle pensée n'est rien à côté de la joie qu'on éprouve à la fixer dans sa forme - dans sa forme permanente. En fait il est quasi strictement impossible de se réfréner de formuler une grande pensée. Nous ne sommes que des instruments dont joue une force qui nous dépasse. On nous permet, on nous accorde la grâce pour ainsi dire, de créer. Personne ne crée tout seul, de soi-même, par soi-même. L'artiste est l'instrument qui enregistre ce qui esxiste déjà, quelquechose qui est la propriété du monde entier et que, si l'individu en question est vraiment un artiste, il est contraint et forcé de restituer au monde."

    Tout est dit.

    (ma lecture de cette autoboiographie se prolongeant avec Plexus qui nous transporte dans  la période ou Henry Miller trouve l'écrivain qui est en lui, peut-être d'autres passages se verront ajoutés par la suite)

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  • Piou piou
    Jean-Luc Mylayne, n°433-Novembre Décembre 2007, Exposition Tête d'or ©MAC Lyon,

       Le mot qui me vient au regard de l’exposition consacrée à Jean-Luc Mylayne est kairos. Pour Jackie Pigeaud, " c'est l'instant fugitif mais essentiel, soumis au hasard mais lié à l'absolu. Ainsi, considérer la sensation comme le kairos est une vue très profondément grecque, parce que le kairos renvoie au cours du monde, au hasard, au déroulement imprévisible des choses, mais aussi à un savoir antérieur. Le kairos n'est rien sans le savoir qui permet de le reconnaître ; il n'est qu'événement parmi d'autres pour celui qui ne sait pas. Mais, pour celui qui sait, il est ce qui lui révèle son propre savoir, par le choc de la réalité qui se révèle comme signifiante". Ici, c'est la réalisation du dessein, du but fixé par l’imagination de l’artiste, comme si sa volonté s'incarnait véritablement, prenait forme après des mois de patience. Le kairos serait alors la rencontre entre le hasard de la nature et le plan de Jean-Luc Mylayne, le moment dans sa plus grande perfection, celui qui ne dure qu’une fraction de seconde, celui qu’il faut être là pour saisir. Deux mondes qui n’ont pas vocation à « coller » tant ils semblent différents ne font pourtant plus qu’un. Rencontre inédite donc, adéquation entre l’esprit humain, ce qu’il s’attend à voir se concrétiser, et cette réalité qui épouse son désir.

    Peut-on parler de prémonition dans la démarche de Jean-Luc Mylayne puisqu'il a l'air de savoir à l'avance comment sera ce moment qu'il saisira? Ces mises en scène qu’il pense, qu’il attend patiemment, qui finissent par se laisser capturer par son appareil photographique dans une apparition soudaine et rapide, réveillent dans l’esprit du spectateur des échos de croyances superstitieuses comme  destin,  prières ou encore forces supérieures à l’œuvre dans la nature, écartant ainsi toute sorte de hasard. Mais au finale seule la notion de kairos peut s’appliquer, kairos  provoqué par l’artiste patient posté dans l’attente de cette rencontre, kairos à part entière en tant que correspondance jouissive, sensation bienheureuse d’être au bon endroit, au bon moment.

    Et pourtant la vue de ses clichés n’éveille pas immédiatement toutes ces réflexions, tant ils semblent précisément avoir été le fruit d’un hasard absolu, d’une rencontre inattendue entre l’artiste et le moment saisi. Cet écart, entre la démarche et les œuvres qui en résultent, va en fait donner toute leur force aux photographies de Jean-Luc Mylayne. Parce que la construction patiente se laisse deviner, surtout lorsqu’on est devant le sceptyque de Novembre-Décembre 2007 (n°433 dans l’œuvre globale de l’artiste). Un infime changement de cadrage, de lumière, de mise au point laissent entrevoir le temps qui a passé entre chaque capture.

    Cette irruption du temps n’est pas seulement celle, classique, du moment fixé pour toujours sur la pellicule, qu’on peut à juste titre nommer arrêt sur image. Jean-Luc Mylayne nous emmène plus loin, parce que la dilatation du temps est encore plus prononcée dans ce sceptyque. La succession des prises donne l’impression d’une rafale, alors que plusieurs jours ont pu s’écouler entre chacune d’elles. Deux mois ont été nécessaires à la rencontre qui engendre l’œuvre telle qu’elle nous est présentée au Mac de Lyon. Et pourtant l’arbre ne semble pas bien différent d’une photographie à l’autre, le ciel non plus, et l’oiseau ne fait que changer de place. À la fois même et différent par l’action du temps qui devient, non plus seulement une donnée de la technique photographique, mais un élément à part entière des clichés.

    Si Jean-Luc Mylayne se définit lui-même comme un metteur en scène, c’est qu’il ne dirige pas que les oiseaux mais qu’il apprivoise aussi le temps pour en faire son meilleur allié, celui qui lui permettra de réaliser son scénario. La mise en scène ne consiste dès lors plus simplement en un arrangement de paramètres divers, puisque aucun de ces paramètres ne paraît contrôlable, mais en une heureuse complétude entre l’artiste et la nature en acte.

     

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  • "Il faut trois dons pour la beauté. En premier lieu l'intégrité et la perfection puisque les choses inachevées, comme telles, sont deformées. Enfin, la clarté et la splendeur : nous devons considérer comme belles les choses aux couleurs claires et resplendissantes." Thomas d'Aquin


    Saint Thomas et Soulages
      Peinture, Pierre Soulages, Musée de Grenoble

     

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  • Notre oeil ne tourne plus très rond

    Il est difficile de parler du travail de Bridget Riley tant il semble plutôt nous appeler à vivre une expérience inédite face à lui.

    Par une représentation de figures géométriques très simples, très épurées, l'artiste parvient à nous attirer, à nous perdre dans ses oeuvres, souvent hypnotiques (comme Descending), renvoyant le spectateur à des illusions d'optique classiques (comme avec Blaze I, Movement in squares, ou Fall). Mais ces peintures ne sont pas de simples illusions. Si leurs procédés semblent similaires, l'approche n'est pas la même. 
    Représentante de l'Op'Art, Bridget Riley nous entraîne à remettre en cause notre vue et les certitudes qui découlent de l'immédiateté de l'expérience esthétique, nous perd dans une relation déséquilibrée, ambigüe qui déstabilise nos sens. Des questions se pressent dans notre esprit : "Où suis-je?", "Ai-je la tête qui tourne?", autant d'interrogations sur notre place au sein du monde, notre statut de sujet sensible qui nous font soudain cligner des yeux, regarder ailleurs, à la recherche d'une vision plus confortable.
    Par l'usage de formes simples, Bridget Riley nous met ainsi à la fois face à nous-mêmes, et face à la nature perpétuellement changeante. Car si les formes géométriques n'existent pas au sein de la nature, ce sont les seules à pouvoir recréer le vertige que procure la vue d'une tempête, d'un coup de vent ou d'une mer agitée, ce que les représentations figuratives figées ne peuvent réaliser. 
    Plus qu'un instant que saisirait l'artiste pour nous le transmettre par la toile, il s'agit pour Bridget Riley de nous plonger dans une sensation prolongée d'appartenance, de découverte du monde. Un moment désemparé, nous glissons, tentant de nous agripper à un élément, rebondissant sur un autre à tel point que l'oeuvre n'est jamais la même d'un instant à l'autre. Bridget Riley souligne que "la nature n'est pas un paysage, mais un dynamisme de forces visuelles, les couleurs et les formes étant libérées de tout rôle descriptif ou fonctionnel"
    L'emploi du noir et blanc laisse peu à peu une place pour la couleur (comme dans Cataract 3, Zing, ou Aurulum) qui devient de plus en plus présente, jusqu'à devenir le seul outil de l'artiste, qui enrichit par là le lien de son travail à la nature, mais toujours dans un souci de se démarquer d'elle pour la rendre paradoxalement plus accessible, plus riche à nos yeux. Bridget Riley révèle aisni son souci de permettre à chacun d'explorer et de célébrer une expérience profondément humaine, quand un simple regard se transforme en trésor de mouvement, quand la vue d'un objet nous plonge dans un abîme de sensations.


    Crédit photo : AFP/Bertrand Guay

     

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  • Le cadre de Sam Francis?

    Sam Francis aimait voler dans le ciel aux commandes d'un avion. Sam Francis s'est écrasé sur le sol. Pour retrouver ce ciel, il a fait de la peinture, rejoignant dans chacune de ces toiles cet infini qu'il avait rencontré.
    Alors que la toile était pour les artistes un champ vierge à recouvrir, à conquérir, Sam Francis s'affranchit de cette tradition pour pénétrer au plus profond de la peinture, dans ce qu'elle offre de plus fertile par le dépouillement, la dépossession de la forme qui recouvrait le fond, le rendant invisible, le privant de sa fécondité.
    Dans cette oeuvre intitulée "Sans Titre" réalisée en 1967, c'est le manque qui saute aux yeux du spectateur. Le manque de peinture (qui se limite à la suggestion d'un cadre), le manque de figures sur ce fond nu, le blanc comme manque de toute trace de la présence d'un geste de l'artiste. Et pourtant ce blanc qui prend toute la place révèle précisément ce qui semble manquer au centre du tableau : la couleur, la forme, la trace du passage de l'artiste sur son support.
    Pourtant, jaunes, rouges, bleus, verts s'activent, tournent autour de l'absence, comme engendrés par un noir qui prend plus de place, qui gonfle le contour de la toile. Des coulures de peinture acrylique s'immiscent même au coeur du rien qui irradie du coeur de l'oeuvre. Absence et présence se répondent, résonnent toutes deux ici : plus qu'une peinture finie il faut voir un acte d'infini, à la fois prenable et inaccessible, seulement une trace de quelque chose de plus grand, quelque chose qui dépasse à la fois le cadre du tableau et le cadre comme canevas qui tisse les règles de la peinture.
    L'infini lumineux absorbe, attire les couleurs qui finissent par le composer, quand ces mêmes couleurs l'engloutissent pour mieux le mettre en valeur au centre de l'oeuvre. Le blanc de la toile devient ainsi la combinaison du spectre des couleurs, toujours présence et absence de couleurs dans le même temps. Il s'agit non pas d'un effacement mais d'une dilution, une confusion du tout et du rien, de l'infini et du fini, des couleurs et du blanc.
    Avec Sam Francis, l'artiste devient celui qui accomplit un acte révélateur et pas seulement narratif, par lequel l'oeuvre prend part au monde, s'insère dans une réalité qui dépasse le cadre de la représentation, de la figuration. Il ne s'agit plus d'interpréter un tableau fixé à un mur, il s'agit d'entrer en lui, de saisir sa profondeur, non pas pour en faire autre chose, mais justement pour en faire ce qu'il est : une fraction de l'infini du monde.

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