• Saint-Cyr (tu seras une femme ma fille)

    Où un chateau se noie.


    Saint-Cyr, de Patricia Mazuy

    The english version is available here.

     

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    Pendant la première heure du film on pourrait penser que Saint-Cyr, réalisé par Patricia Mazuy, propose une incursion dans ce qui ressemble fort à une école pour filles dont on veut faire des femmes libres, cultivées, et peut-être même indépendantes. Et c'est parce que les cinquante minutes restantes nous montrent à quel point ce projet n'a vu le jour que pour racheter les péchés d'une femme écrasée par les pressions de la morale qui l'entoure, qu'on ne peut pas ne pas parler de la condition des femmes d'hier, mais aussi celles d'aujourd'hui et de demain.

    Lucie de Fontenelle et Anne de Grandcamp dans Saint-Cyr, de Patricia Mazuy

    L'éducation, thème central du film, n'est pas une approche anodine. On leur promet tout à ces pauvres gamines, le meilleur, le plus beau, le ventre plein, le confort et l'élévation de l'esprit. Elles rêvent d'être intendants, jouent à l'avocat, au juge et à l'accusé, dans une époque ou tous ces rôles étaient réservés aux hommes. On pourra juger du XVIIème siècle avec hauteur en se sentant bien à l'abri dans notre époque qui mêle filles et garçons à l'école. Mais qu'y a-t-il de changé à part ça ? Les filles ne se font-elles pas encore rouler, comme à Saint-Cyr où leur innocence les poussait à croire aux promesses qu'on leur avait faites à leur arrivée ?  À l'heure où des quotas sont instaurés pour imposer les femmes aux postes pour lesquels elles sont formées, quelle différence y a-t-il avec les espoirs fous des demoiselles de Saint-Cyr ?

    Alors oui, la différence, c'est qu'on ne nous force pas à devenir bonne sœur après le Brevet des Collèges et qu'on peut s'inscrire dans l'enseignement supérieur. Mais les marais dans lesquels Saint-Cyr se noie ne sont-ils pas toujours sous les pieds de toutes les femmes qui veulent être libres et indépendantes, comme une menace permanente ?

    De toute façon, le projet de Françoise de Maintenon n'est qu'une planche de salut pour elle et pour elle seule, tant et si bien que son égoïsme sans borne sacrifie la vie de ses soi-disant protégées. Elle le dit et semble même se repaître de leur sang lorsqu'elle se baigne pour effacer les traces sanglantes des flagellations de Lucie sur son visage. Comme dans la vieille croyance qui veut que le sang de vierge rajeunisse les vieilles femmes, Françoise purifie ses péchés passés pour mieux regarder vers l'avenir, vers son salut et le Paradis. Elle aussi a été une pauvre fille noble qui rêvait d'une vie à la hauteur de ses attentes et le film la dépeint comme une intrigante qui a tout fait pour que se réalisent ses vœux, quitte à y perdre son intégrité, bien malmenée par un Louis XIV qui ne pense qu'à la prendre n'importe où et n'importe quand.

    Françoise de Maintenon dans Saint-Cyr, de Patricia Mazuy

    Elle est seule, tiraillée entre cette vie ici-bas dans laquelle elle se sent dégradée par tout ce qu'elle a dû entreprendre, qui est fortement condamné par la morale de son époque et cette école de jeunes filles qui pourra peut-être racheter cela et la mener à son salut.

    Elle est la première victime de ce contre quoi elle semble se battre au début du film. Elle a joué tous ses atouts et a perdu la partie, personne ne la verra jamais comme elle est vraiment, elle sera toujours jugée sur sa conduite d'avant. Elle est seulement menée par la peur croissante et étouffante de bruler en Enfer, de ne jamais atteindre le Paradis. Sa préférée, Lucie, meurt presque dans ses bras, petit ange qui rejoint directement le ciel, l'école est transformée en couvent, elle l'a bien gagné son Paradis, et elle est bien passée à côté de sa vie. La morale religieuse a tout brulé, les livres, les coffres de jeux et la joie des demoiselles.

    Saint-Cyr, de Patricia Mazuy

    Mais la dernière image du film, c'est Anne, amie de la défunte Lucie qui s'enfuit, tournoie sur son cheval et disparaît, quand le Saint-Cyr voulu par Françoise coule au fin fond des marais sur lesquels Mansart l'a bâti.

    Mais pour une Anne, combien de Françoise écrasées par des bien-pensants au nom d'une morale cruelle et dévorante, qui brûle tout sur son passage, ressemblant tant à l'Enfer qu'ils promettent à ceux qui s'écartent de leur chemin ?

     

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