• Piou piou
    Jean-Luc Mylayne, n°433-Novembre Décembre 2007, Exposition Tête d'or ©MAC Lyon,

       Le mot qui me vient au regard de l’exposition consacrée à Jean-Luc Mylayne est kairos. Pour Jackie Pigeaud, " c'est l'instant fugitif mais essentiel, soumis au hasard mais lié à l'absolu. Ainsi, considérer la sensation comme le kairos est une vue très profondément grecque, parce que le kairos renvoie au cours du monde, au hasard, au déroulement imprévisible des choses, mais aussi à un savoir antérieur. Le kairos n'est rien sans le savoir qui permet de le reconnaître ; il n'est qu'événement parmi d'autres pour celui qui ne sait pas. Mais, pour celui qui sait, il est ce qui lui révèle son propre savoir, par le choc de la réalité qui se révèle comme signifiante". Ici, c'est la réalisation du dessein, du but fixé par l’imagination de l’artiste, comme si sa volonté s'incarnait véritablement, prenait forme après des mois de patience. Le kairos serait alors la rencontre entre le hasard de la nature et le plan de Jean-Luc Mylayne, le moment dans sa plus grande perfection, celui qui ne dure qu’une fraction de seconde, celui qu’il faut être là pour saisir. Deux mondes qui n’ont pas vocation à « coller » tant ils semblent différents ne font pourtant plus qu’un. Rencontre inédite donc, adéquation entre l’esprit humain, ce qu’il s’attend à voir se concrétiser, et cette réalité qui épouse son désir.

    Peut-on parler de prémonition dans la démarche de Jean-Luc Mylayne puisqu'il a l'air de savoir à l'avance comment sera ce moment qu'il saisira? Ces mises en scène qu’il pense, qu’il attend patiemment, qui finissent par se laisser capturer par son appareil photographique dans une apparition soudaine et rapide, réveillent dans l’esprit du spectateur des échos de croyances superstitieuses comme  destin,  prières ou encore forces supérieures à l’œuvre dans la nature, écartant ainsi toute sorte de hasard. Mais au finale seule la notion de kairos peut s’appliquer, kairos  provoqué par l’artiste patient posté dans l’attente de cette rencontre, kairos à part entière en tant que correspondance jouissive, sensation bienheureuse d’être au bon endroit, au bon moment.

    Et pourtant la vue de ses clichés n’éveille pas immédiatement toutes ces réflexions, tant ils semblent précisément avoir été le fruit d’un hasard absolu, d’une rencontre inattendue entre l’artiste et le moment saisi. Cet écart, entre la démarche et les œuvres qui en résultent, va en fait donner toute leur force aux photographies de Jean-Luc Mylayne. Parce que la construction patiente se laisse deviner, surtout lorsqu’on est devant le sceptyque de Novembre-Décembre 2007 (n°433 dans l’œuvre globale de l’artiste). Un infime changement de cadrage, de lumière, de mise au point laissent entrevoir le temps qui a passé entre chaque capture.

    Cette irruption du temps n’est pas seulement celle, classique, du moment fixé pour toujours sur la pellicule, qu’on peut à juste titre nommer arrêt sur image. Jean-Luc Mylayne nous emmène plus loin, parce que la dilatation du temps est encore plus prononcée dans ce sceptyque. La succession des prises donne l’impression d’une rafale, alors que plusieurs jours ont pu s’écouler entre chacune d’elles. Deux mois ont été nécessaires à la rencontre qui engendre l’œuvre telle qu’elle nous est présentée au Mac de Lyon. Et pourtant l’arbre ne semble pas bien différent d’une photographie à l’autre, le ciel non plus, et l’oiseau ne fait que changer de place. À la fois même et différent par l’action du temps qui devient, non plus seulement une donnée de la technique photographique, mais un élément à part entière des clichés.

    Si Jean-Luc Mylayne se définit lui-même comme un metteur en scène, c’est qu’il ne dirige pas que les oiseaux mais qu’il apprivoise aussi le temps pour en faire son meilleur allié, celui qui lui permettra de réaliser son scénario. La mise en scène ne consiste dès lors plus simplement en un arrangement de paramètres divers, puisque aucun de ces paramètres ne paraît contrôlable, mais en une heureuse complétude entre l’artiste et la nature en acte.

     

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  • "Il faut trois dons pour la beauté. En premier lieu l'intégrité et la perfection puisque les choses inachevées, comme telles, sont deformées. Enfin, la clarté et la splendeur : nous devons considérer comme belles les choses aux couleurs claires et resplendissantes." Thomas d'Aquin


    Saint Thomas et Soulages
      Peinture, Pierre Soulages, Musée de Grenoble

     

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